Au Japon, le repas de Noël se déguste chez KFC
A Noël, la dinde et le foie gras ont toujours la cote sur les tables française ; en Belgique, ils célèbrent les tripes à l'djotte ; la tourtière de Noël est dégustée au Canada ; le hangikjöt est le plat festif en Islande. La tradition du repas de Noël est ainsi profondément ancrée dans nos cultures occidentales et même aux Philippines, on sait préparer un buffet digne de ce nom pour cette fête. Au Japon cependant, la coutume pour le dîner de Noël est toute autre et consiste à déguster du poulet frit, et pas n'importe lequel : celui de KFC !
Japon, le pays sans Noël
La première religion chrétienne à être introduite dans l'archipel a été le catholicisme en 1549. Les missionnaires, quoique bien accueillis en tant que visiteurs, ont eu maille à partir pour propager la Bonne Parole. La religion chrétienne a d'ailleurs vite été mise au ban et les nouveaux chrétiens, tout comme les missionnaires, furent persécutés par les pouvoirs d'alors. Résultat, aujourd'hui encore, moins de 2% des Japonais sont chrétiens. Difficile pour la Nativité de s'imposer comme une fête majeure dans ces conditions.
Ainsi, au Pays du soleil levant, Noël est une fête qui n'a été qu'assez récemment célébrée. Contrairement à la majeure partie des états par ailleurs, elle n'y est pas vue comme une fête religieuse, mais plutôt comme une commémoration du mythe du Père-Noël. Et comme elle est récente, les Japonais ne disposaient à la base d'aucune tradition sur laquelle s'appuyer tant dans la manière de la fêter que dans le repas typique à préparer pour l'occasion. C'est là que la chaîne KFC a tiré son épingle du jeu.
Du Kentucky pour Noël
Nous sommes en 1970, Noël est connu depuis plusieurs décennies dans l'archipel, mais n'a pas encore gagné le cœur des Japonais. Les expatriés occidentaux, eux, ont le mal du pays et veulent comme chaque année de la dinde pour Noël ; sauf qu'on est au Japon et que la dinde n'y court pas les rues. A défaut, la plupart se rabattent sur ce qui s'en rapproche le plus, à savoir le poulet frit de KFC qui vient justement d'ouvrir cette année-là son premier restaurant au Japon. La légende dit ensuite que le manager du resto, Takeshi Okawara, y a vu une opportunité. Il créa donc le Party Barrel, un bucket de blancs et de cuisses de poulet frits, qu'il promeut tout d'abord localement comme étant le meilleur repas à avoir pour célébrer dignement Noël.
En 1974, le Party Barrel fut renommé "Kurisumasu ni wa Kentakkii" ("Du Kentucky pour Noël" en français). Sa promotion devint aussi non seulement plus festive, mais également nationale. Le succès fut immédiat et comme on le dirait aujourd'hui, le petit seau de poulet fit le buzz. L'astuce était que, comme il n'y avait pas de coutume de Noël au Japon, le plat remplissait un vide que les Japonais ressentaient inconsciemment. En montrant dans sa publicité comment il fallait s'y prendre pour célébrer Noël comme il faut, KFC disait tout simplement à toute une nation ce qu'ils devaient manger à cette fête. Et ça a marché : tout le pays lui emboîta le pas, adoptant le poulet frit de KFC comme repas de Noël traditionnel !
Un succès commercial pour KFC
Aujourd'hui, le succès de KFC Japon à Noël est le rêve de toutes les enseignes du monde. Ses menus de fête sont tellement prisés qu'ils sont affichés dès le mois de novembre. Durant les fêtes de Noël également, la fréquentation des 600 restaurants que compte le pays est multipliée par 3, voire par 5. L'affluence est telle que les files d'attente durent des heures devant les restaurants et que les plus prévoyants réservent leurs repas du réveillon des semaines, voire des mois à l'avance. De l'aveu de KFC lui-même, le Kurisumasu ni wa Kentakkii représente environ le tiers des ventes annuelles de la chaîne au Japon, tandis que la période du 23 au 25 décembre y concentrerait 5% de son chiffre d'affaires annuel.
Évidemment, le dîner de Noël selon KFC a évolué avec le temps. Si à l'origine, il se composait uniquement de leur traditionnel poulet frit, des menus plus élaborés virent progressivement le jour pour continuer à séduire les consommateurs. Pour 3 780 yens par exemple (environ 30 euros), le Kurisumasu ni wa Kentakkii comprend désormais de la salade, du vin mousseux et un fraisier japonais en guise de dessert, en plus des blancs et des cuisses de poulet frit (en portion familiale s'il vous plaît). Et pour 5 800 yens (45 euros), on peut se régaler avec un menu haut de gamme comprenant du poulet rôti ou farci, de la salade, du champagne et un gâteau au chocolat.
Une tradition partie pour durer
Tout ce succès n'est bien sûr pas sans attirer la convoitise des autres chaînes de fast-food qui essaient depuis longtemps maintenant de se faire une place dans le quasi-monopole du Colonel Sanders. Dans les restaurants Wendy's par exemple, on a essayé de détrôner le menu de Noël de KFC avec du karaage, un poulet frit à la japonaise mariné dans de la sauce soja. Peine perdue, la tradition du KFC est si profondément ancrée dans la culture japonaise que les parents y emmènent spontanément leurs enfants à chaque Noël, tout comme leurs parents le faisaient avec eux, et tout comme leurs enfants y emmèneront très certainement les leurs.
En 2020, on a ainsi estimé à 3,6 millions le nombre de familles qui se font plaisir chez KFC à chaque Nativité. Un chiffre qui n'est pas près de diminuer, vu à quel point l’enseigne est populaire au Japon. C'est bien simple, le moyen le plus sûr de savoir que Noël n'est plus loin pour un Japonais, c'est de voir les statues grandeur nature du Colonel Sanders être grimées en Père-Noël. Tout un événement en soi.