L'épopée du donut, un beignet qui a fait son trou

Omniprésent dans les séries américaines et aujourd'hui solidement ancré dans la culture pop, le donut est une sommité dont l'aura a commencé à rayonner outre-Atlantique. Pourtant, il a beau être une success story américaine, ses origines, elles, en sont bien éloignées.
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En-cas préféré des policiers américains, à en croire les films ainsi que les séries US tout du moins, le donut, ou "doughnut" ou encore "beigne" au Canada, est un symbole gourmand dans de nombreux pays. Son histoire commence aux États-Unis, mais pas son origine qui, elle, se trouve plus dans les mystérieux et bienheureux échanges qui ont lieu lorsque différentes cultures s'entremêlent.

Les racines néerlandaises du donut

Au début du 19e siècle, New York était déjà une ville melting-pot où de nombreux peuples issus de l'immigration se mélangeaient. Parmi eux, des Néerlandais qui, outre leur esprit religieux et leur sens du travail bien fait, ont amené dans leurs bagages la recette de leur "oliekoek", un beignet inventé vers le 17e siècle et qui rappelle un peu nos pets-de-nonne (ou croustillons, pour les plus prudes).

L'oliekoek est un coupe-faim assez fruste, préparé avec une pâte épaisse fourrée de morceaux de fruits variés (pomme, raisin, etc.) et apprécié des nécessiteux car abordable. Il se présente comme une généreuse boule de pâte que l'on immerge dans de l'huile bouillante jusqu'à cuisson complète.

Au fil du temps, l'oliekoek, que l'on a fini d'ailleurs par appeler "oily cake" ("gâteau huileux" en français) fut adopté par la population cosmopolite de New York et ne tarda pas à déborder de la ville pour se propager un peu partout hors de l'État.

L'invention du trou dans le donut

À l'époque, il y avait quasiment autant de recettes d'oliekoek que de cuisiniers avec, toutefois, un problème récurrent : le feu de cuisson était souvent si fort et la pâte si épaisse que son cœur n'avait généralement pas le temps de cuire alors que le reste était déjà doré à point. Un inconvénient qu'Hanson Crockett Gregory, jeune mousse embarqué dans les cuisines du navire "Ivanhoe", trouvait littéralement dur à digérer.

Parce qu'ils sont si peu coûteux à produire, les oliekoeks constituaient en effet le quotidien des marins de l'époque. Et on ne parle pas ici des variantes avec fruits, mais bien de beignets mastocs, croustillants à l'extérieur et à moitié cru à l'intérieur. Le beignet était tellement pâteux, huileux et dense que les marins l'appelaient "sinker", en référence au dispositif servant à faire couler l'hameçon au bout d'une ligne de pêche. En français, on dira "plomb".

En 1947, afin de soulager son estomac ainsi que ceux de ses camarades, Hanson Gregory, alors âgé de 16 ans, eut une inspiration : si le milieu du beignet était le problème, s'en débarrasser serait forcément la solution ! Il avisa alors le couvercle d'un récipient en fer blanc qui servait à stocker le poivre à bord et s'en servit pour expurger la partie incriminée. Sans tambour ni trompette, l'adolescent venait d'inventer le donut moderne. Enfin, moderne, pas tout à fait puisque le trou d'origine était tout de même immense comparé à celui de maintenant.

donut

L'origine du nom

D'ailleurs, pourquoi le donut s'appelle-t-il ainsi ? Tout simplement parce que le mot nut possède un vieux sens en anglais qui signifie "petit biscuit rond" ou "petit gâteau rond" (comme, encore une fois, les croustillons). Quant au terme dought, il signifie "pâte". Littéralement, doughtnut – dans un premier temps écrit avec un trait d'union (dought-nut) – signifie donc "pâte pour faire des petits gâteaux ronds" et était volontiers employé comme synonyme de oliekoek.

D'ailleurs, la première utilisation connue du mot date de 1803 dans un livre de cuisine intitulé "The Frugal Housewife: or, Complete Woman Cook", même si les linguistes pensent qu'il a très bien pu être utilisé avant cela, dès 1782 notamment.

L'écriture "donut", elle, ne viendra que bien plus tard, fruit d'une réforme américaine visant la simplification orthographique des mots, basée sur la phonétique. C'est ainsi que "colour" devint "color" et que "doughnut" évolua en "donut". Cela étant, cette dernière graphie était déjà utilisée sporadiquement depuis 1900, sans doute par quelques ingénieux paresseux qui trouvaient que c'était plus vendeur ainsi.

Le donut, une affaire qui roule

Elizabeth Gregory, la mère du brillant Hanson, a eu la bonne idée de vendre la trouvaille de son fils dans un magasin général de la ville natale du mousse, à Rockport, dans l'État américain du Maine. Des oliekoeks bien cuits, c'est presque une première ! La forme plaît et l'innovation est petit à petit adoptée par les Américains.

Nous voici au début de la Première Guerre mondiale. L'Armée du Salut multiplie les actions en faveur des soldats, des veuves ainsi que des orphelins et a besoin de financement. Elle entreprend ainsi, entre autres, de vendre des doughtnuts. Ensuite, entre 1917 et 1918, quand des soldats américains sont envoyés sur les fronts européens, l'organisation humanitaire ne ménage pas ses efforts pour en distribuer régulièrement aux Boys afin de leur rappeler les States. Les livreuses alors sont appelées les Doughnut Girls et ce même lorsqu'elles n'apportent que des tartes aux pommes. Une fois la guerre terminée, deux millions de soldats américains rentrant au pays vont alors contribuer à la popularité du beignet toroïdal.

En 1920, un New Yorkais du nom d'Adolph Levitt met au point, avec l'aide d'un ingénieur, une machine capable de faire des doughnuts à la chaîne, à une cadence de 1 000 beignets par heure. Selon la légende, M. Lewitt, malgré son métier de vendeur de doughnuts, avait la friture en horreur et détestait spécialement l'odeur qu'elle dégageait. C'est ce qui le poussa à se creuser les méninges et dans les réclames pour sa machine, effectivement, on pouvait lire qu'elle était « sans odeur » grâce à des ventilateurs judicieusement placés. La révolution qu'il apporta avec sa machine marqua le début de l'industrialisation du doughnut et lança sa commercialisation à grande échelle en permettant à de plus en plus de boutiques d'en proposer. Adolph Levitt, lui, rejoignit le club des millionnaires en vendant à la fois des doughnuts et sa machine.

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Ce n'est toutefois qu'après la Seconde Guerre mondiale, qui a vu apparaître la même dynamique que lors de la Première, que le doughnut gagna le cœur des Américains. Le beignet était cette fois-ci distribué sur les fronts par les Doughnut Dollies de la Croix-Rouge, jouant tant le rôle de collation roborative que de précieux réconfortant moral pour des millions de conscrits. La guerre finie, le donut était définitivement entré dans les mœurs américaines, faisant s'emballer les choses.

En 1950, "Open Kettle", un restaurant vendant café et beignets, se renomme en "Dunkin' Donuts", popularisant par là non seulement la nouvelle graphie du mot, mais également le beignet en lui-même. Et comme il se trouve que le café est le parfait breuvage pour accompagner le donut, l'enseigne, renommée Dunkin' depuis 2019, a prospéré au point de compter aujourd'hui plus de 13 500 points de vente dans 40 pays pour un chiffre d'affaires mondial de 11,9 milliards de dollars (10,9 milliards d'euros) en 2023.

L'entrée du donut dans la culture populaire

Le donut, adopté par toutes les classes sociales, est aujourd'hui un élément incontournable de la culture américaine. Il est vite devenu synonyme de "goûter sur le pouce" pour les amateurs de sucres, car les boutiques de donuts ainsi que les diners américains qui en proposaient à la belle époque ouvraient jusqu'à tard le soir. Cela permettait aux personnes travaillant en horaires décalés, notamment les agents de police, d'en trouver en tout temps.

Peu à peu, des figures de la culture populaire, comme Homer de la famille Simpson, s'en sont emparé et ont contribué à renforcer l'image du beignet, participant à sa notoriété mondiale.

Déclinable à l'infini, pouvant être fourré à la crème ou à la confiture, avec ou sans glaçage, et même salé ou coupé en deux pour faire des burgers, le donut est aujourd'hui apprécié dans le monde entier pour son moelleux réconfortant. Un plaisir sucré qui dispose aujourd'hui de sa propre journée nationale aux États-Unis (chaque premier vendredi du mois de juin) et dont les couleurs sont portées haut à travers les générations par des franchises mythiques comme Krispy Kreme Doughnuts (créé en 1937), Dunkin' (créé en 1948), Tim Hortons (créé en 1964) ou encore LaMar's Donuts & Coffee (créé en 1933).

Publié par Ando, le 14/04/2025
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